Déclaration de la Commission Foi et Témoignage sur la diversité religieuse
Réponse des Chrétiens à un monde de diversité religieuse : Une introduction
Dans notre monde mobile, global – et en particulier dans un pays multiculturel comme le Canada – les Chrétiens vivent côte à côte avec une multitude de religions. De nos jours, dans plusieurs milieux canadiens, les temples, synagogues, mosquées, églises et autres lieux de culte sont des éléments du paysage urbain. La démocratie moderne, tolérante au plan religieux, a accentué de défi ancien : comment vivre en tant que Chrétiens et comment entretenir des rapports avec les autres dans une société ayant une diversité de croyances et de pratiques religieuses?
L’un des défis prend sa source dans une doctrine du salut se trouvant au cœur de la foi de tout Chrétien : Jésus Christ est le Sauveur de tous. Dans l’Évangile de Jean, cette vérité fondamentale est présentée de deux manières. L’une d’elles est positive, optimiste, et elle s’étend à toute la création : « Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jean 3:16-17). C’est l’autre énoncé scripturaire plus ardu qui pose problème aux Chrétiens vivant dans un monde de diversité religieuse : « Jésus lui dit : "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi. " » (Jean 14:6; voir aussi Jean 3:5 et Actes 4:12). Pour les Chrétiens, il s’agit là d’une affirmation définitive : le don du salut vient du Christ seul.
Ces versets soulèvent deux questions théologiques. L’une d’elles est la possibilité de salut pour ceux qui n’acceptent pas explicitement le Christ. L’autre est : comment pouvons-nous entretenir des relations, interagir, partager avec des personnes de d’autres religions et même nous joindre à elles autour d’une cause civile ou éthique commune? Une réponse à ces questions doit avoir pour point de départ le Grand Commandement – identifié comme étant la récapitulation de toute la loi de Dieu – qui lie l’amour envers Dieu à l’amour inconditionnel envers le prochain (voir Matthieu 22:36-40, Marc 12:31, etc.). L’amour est un engagement à faire du bien à l’autre – sans l’attente d’un avantage personnel. Et notre prochain inclut tous les étrangers.
Un autre passage scripturaire pertinent indique que nous avons l’obligation de témoigner publiquement du Christ. Le Grand Envoi en mission, qui conclut l’Évangile de Matthieu, insiste pour que nous enseignions et faisions des disciples de toutes les nations (Matthieu 28:19-20). Les Chrétiens ont donné suite à cet impératif tout au long de l’histoire du Christianisme. Dans les démocraties modernes, les Chrétiens ayant pour mandat de prêcher Jésus comme seul Sauveur doivent opérer à l’intérieur d’un cadre civil et juridique de droits inhérents, lequel met l’accent sur l’égalité des croyances religieuses des personnes et le libre exercice du culte religieux. Les Chrétiens respectent la liberté de religion, non pas comme si les institutions religieuses étaient des produits à prendre et à mélanger, mais par respect pour la dignité de la personne humaine et la place unique de la religion dans l’existence humaine.
Les plus profonds défis à relever en regard de la formulation d’une approche chrétienne concernant la diversité religieuse ne sont pas fondés sur la compétition entre les valeurs religieuses et culturelles. Le défi provient plutôt des différences, parmi les églises membres de la Commission, quant à la compréhension de l’enseignement scripturaire concernant le salut. Lorsque les membres de la Commission ont fait part des points de vue de leur église en ce qui a trait à la diversité religieuse, ces différences ont rendu notre réflexion commune éclairante mais également exigeante.
Nous présenterons ci-dessous ces approches théologiques distinctes et termineront par une réflexion sur les possibilités de réconciliation en dépit des différences.
Le défi : le mandat de l’amour inconditionnel universel donnée aux Chrétiens
Jésus résume toute la Loi en Matthieu 22:36-40, Marc 12:30-31 et Luc 10:26-27 en disant d’aimer Dieu plus que tout et d’aimer son prochain comme soi-même : le Grand Commandement (voir aussi Galates 5:14 et Jacques 2:8). Sur ce point, quelles que soient les différences doctrinales en d’autres domaines, les églises sont unanimes. Lorsqu’un avocat met Jésus au défi de donner la meilleure définition illustrant la notion de « prochain », l’exemple surprenant utilisé par Jésus comme modèle d’amour inconditionnel est celui d’un Samaritain (Luc 10:36-37), un marginal religieux considéré comme étant un ennemi et un hérétique (voir Jean 4:9). C’est sur ce consensus que repose notre conclusion. Notre réflexion au sujet du dilemme que pose des points de vue divers doit toujours être compris dans ce contexte : « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est amour. » (1 Jean 4:7-8).
Le dilemme : qui peut être sauvé?
Même dans le contexte de l’amour inconditionnel, le mandat énoncé en Jean14:6 demeure fondamental pour les Chrétiens : Jésus étant le Chemin et la Vérité, personne ne vient au Père sans passer par le Christ. Par conséquent, nous devons néanmoins nous demander quelle conception des religions des non-Chrétiens ont les Chrétiens. Sur ce point, les églises adoptent des approches différentes et difficilement compatibles. Le consensus au sujet de l’amour pour tous conduit les Chrétiens à un bon comportement éthique et même à des actions interreligieuses posées en commun dans les domaines de l’aide et de la justice sociales, mais il ne résout pas le défi posé par la doctrine de salut fondamentale. Comment le salut acquis par le Christ dans l’amour s’étend-il à notre prochain qui n’appartient pas à la foi chrétienne?
Des déclarations faites par des membres de la Commission représentant la prise de position de leur église sur cette question:
- Église anglicane du Canada
- Conférence des évêques catholiques du Canada
- Église réformée chrétienne en Amérique du Nord
- Église évangélique luthérienne du Canada
- Église orthodoxe en Amérique
- Église presbytérienne du Canada
- Église unie du Canada
Ces prises de positions individuelles nuancées sont habituellement classées sous trois approches chrétiennes quant au salut des non-Chrétiens.
Le premier point de vue a été qualifié d’« exclusiviste ». Il retient comme principe central le 14e chapitre de l’évangile de Jean. Tout en tenant fermement aux principes de l’amour respectueux et du rejet du triomphalisme, cette théologie maintient qu’un engagement explicite, manifeste envers Jésus comme Sauveur est nécessaire en vue du salut. Ses adhérents s’attendent à ce que les non-Chrétiens recherchant le salut se convertissent au Christianisme, avec reconnaissance orale de Jésus comme Christ et Sauveur (et souvent par le baptême également). Selon ce premier point de vue, la foi et les doctrines fondamentales étant déterminantes en vue du salut, l’amour du prochain est enraciné dans la prédication et la présentation de Jésus comme étant la seule espérance du monde : « Jésus leur répondit : "L'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé." » (Jean 6:29; voir aussi Colossiens 1:28).
Le second point de vue peut être qualifié de conception « large-inclusive » de Jésus Christ comme Sauveur. Bien que s’en tenant toujours fermement au principe voulant que le salut ne vient qu’en et à travers le Christ, il maintient que l’effusion de la grâce salvatrice et de l’amour inconditionnel de Dieu, que les Chrétiens reconnaissent en Jésus, est si absolue, complète et exhaustive que l’humanité tout entière est en mesure de l’accueillir, que le Christ soit explicitement reconnu ou non. Selon ce point de vue concernant le salut, tous ont l’occasion de « venir au Christ » ou de recevoir le don salvifique de la grâce, qu’ils pratiquent la foi chrétienne ou une autre foi. Selon ce point de vue, le Christ est non seulement le Sauveur de ses disciples et adhérents, mais également de ceux qui ne Le connaissent pas ni ne Le désignent comme Seigneur. Il vient à ceux de sa maison, tout comme à ses voisins (voir Luc 15:6) et « veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité » (1 Timothée 2:4). Selon ce point de vue, c’est l’espérance découlant d’une confiance absolue en la miséricorde de Dieu qui prévaut, une espérance s’étendant à toute personne vivant dans le monde.
Le troisième point de vue adhère pleinement à la notion de « pluralisme religieux ». Il maintient que les Chrétiens tiennent au principe fondamental du « Christ comme Sauveur », mais reconnaissent la validité des autres religions en tant que voies véritables pour atteindre le but idéal vers lequel tend la religion. Selon ce point de vue, le Christianisme est alors placé sur un pied d’égalité théologique avec les autres affirmations des religions selon lesquelles elles constituent une définition de la relation de l’humanité avec Dieu. Les églises adoptant ce point de vue rejettent toute notion d’exceptionnalisme chrétien, mettant de l’avant une notion voulant que « plusieurs chemins mènent à Dieu ». Dans ce cas, les principes prévalents, décisifs sont l’amour au-delà de la doctrine et un refus de mettre des limites à la puissance et à la liberté de Dieu. Cela donne lieu à une prise de position très différente des deux autres points de vue.
Conclusion : vivre avec le dilemme
(1) Est-ce que la tolérance – « vivre et laisser vivre » – est la solution pour une vie chrétienne?
Tel que le montre la discussion ci-haut, le débat doctrinal concernant la foi et le salut persiste encore en grande partie entre les églises. Comment les Chrétiens devraient-ils alors donner une réponse à la question d’ordre pratique : Comment puis-je, dans un monde si diversifié au niveau religieux, vivre avec mon prochain et lui offrir un témoignage dans l’amour?
Dans les démocraties civiles, la solution se trouve souvent dans une règle de tolérance. Au mieux, la tolérance est une excellente solution à court terme, une véritable manifestation d’amour en tant respect envers les personnes, peu importe ce que nous pensons de leurs croyances. Jésus a dit explicitement aux Chrétiens qu’ils ne devraient jamais juger ni condamner (voir Luc 6:37 et plusieurs autres passages) et une approche tolérante envers autrui est de loin supérieure à la pratique ancienne des injures ou encore des guerres de religion. Toutefois, parce que les Chrétiens font un lien entre le salut et cette vérité du Christ comme Sauveur (tel qu’énoncé en Jean 14:6), il nous est parfois facile de déformer une bonne tolérance en en faisant un jugement caché (« Nous voyons juste, mais nous ne viendrons pas nous immiscer dans votre erreur! »). Pour interagir avec « l’autre », l’appel à long terme est l’amour authentique, le dialogue et le partage de la bonne nouvelle, le tout dans une atmosphère de respect authentique : une reconnaissance de notre situation existentielle de Chrétien parmi nos nombreux voisins.
(2) En bout de ligne, que devons-nous faire?
En cherchant une réponse à de telles questions existentielles, nous devons nous rappeler que les trois prises de positions divergentes concernant la diversité religieuse sont toutes le résultat de notre tentative théologique d’être fidèles à l’Écriture, à nos traditions héritées du passé et au Mystère de Dieu en Christ. Fondamentalement, nous devons garder à l’esprit la distinction entre la théologie et la foi elle-même. La foi est « la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (Hébreux 11:1). La théologie survient lorsque le cœur et l’esprit s’efforcent d’entrer en dialogue avec Dieu : « la foi en quête d’intelligence » (Anselme de Canterbury, paraphrasant saint Augustin). La théologie est vitale et elle est un processus long et patient qui s’accentue lorsque nous entrons en dialogue avec les autres par-delà les délimitations religieuses et théologiques.
La théologie n’a jamais de fin, n’est jamais complète; elle s’efforce d’entrer dans un mystère – le salut – qui ne se trouve en définitive qu’en Dieu, qui EST en définitive Dieu. À la Commission Foi et Témoignage, nous nous sommes rapprochés les uns des autres lorsque nous nous sommes assis en silence, trouvant – dans le témoignage commun de notre confiance en Dieu – notre communion profonde. La théologie doit continuer – la foi en quête d’intelligence – mais la mise en pratique de « l’amour du prochain » peut permettre au Saint Esprit de nous apprendre qui est notre prochain.
Quelle que soit notre théologie, le plus grand commandement prévaut : « Aime Dieu, aime ton prochain. » Nous poursuivrons la quête théologique ensemble, en reconnaissant nos différences, en travaillant à les résoudre et en ayant confiance que Dieu, qui est amour, nous rapprochera les uns des autres. Mais tandis que nous allons de l’avant, notre appel en tant que Chrétiens est « d’aimer notre prochain comme nous-mêmes », sans réserve. Et dans ce « silence actif », nous vivrons tous dans le mystère.